La Dynamique de l'Homme conscient
Chronique N°10
Mère Theresa, la sainte des ténèbres
Quelle bombe, lorsque les carnets secrets de mère Teresa ont été dévoilés à la presse ! Elle y disait que pendant cinquante ans, elle avait perdu la foi. Elle avait douté comme une agnostique.
Il y a une vingtaine d'années, j'avais été invité à Calcutta avec des équipes de rue d'Asie. Je devais rencontrer mère Teresa. Hélas, je dus rentrer en catastrophe car un des mes jeunes était accusé de meurtre. Je n'ai donc pu voir le sourire de mère Teresa, ce lumineux sourire à propos duquel elle répétait : "Mon sourire est un masque."
Elle avait bien demandé, et Jean-Paul II l'avait suivie, que l'on brûle ses lettres et ses carnets. Alors pourquoi les a-t-on finalement dévoilés ? Parce que ces papiers affermissent notre foi. Voilà pourquoi l'Église a passé outre.
Mère Teresa avait ajouté cette phrase très belle : elle craignait que " les gens pensent plus à elle qu'à Jésus ". Elle était très humble. L'expression : " Je ne suis pas mère Teresa " (ou " l'abbé Pierre ") est passée dans le langage courant lorsque nous sommes confrontés à une situation demandant une élévation au-dessus de nous-mêmes, Ainsi avons-nous érigé mère Teresa en icône de l'amour inconditionnel et universel.
On la croyait parfaite. On ne l'aurait jamais imaginée dans le doute. Derrière son visage lumineux, face à l'étendue immense et rayonnante de son action, ses carnets révèlent une terrible nuit de la foi… Une nuit de cinquante ans ! Sœur Emmanuelle avait dit avoir connu cette souffrance pendant trois ans… mais cinquante ans !
Mère Teresa a été béatifiée cinq ans après sa mort, ce qui est très rare, et elle court vers la canonisation, c'est-à-dire qu'elle sera vénérée par tous les chrétiens.
Le doute n'est pas un obstacle à la sainteté. Benoît XVI disait il y a peu de temps, devant 500 000 jeunes, à Lorette :
" Mère Teresa, malgré toute sa charité et sa force de foi, souffrait du silence de Dieu. "
Le prédicateur de la maison pontificale expliquait que les mystiques comme mère Teresa sont les évangélisateurs idéaux dans notre monde postmoderne où l'on vit comme si Dieu n'existait pas. Ils sont arrivés tout près des sans-Dieu, ils ont connu le vertige de se jeter en bas. Mère Teresa rappelle aux athées honnêtes qu'il leur suffirait de faire un saut pour passer sur la rive des mystiques.
Du rien au tout.
En 1957, elle écrivait : " Il y a tant de contradictions dans mon âme, un tel désir de Dieu et une continuelle souffrance ; je n'ai pas de foi, pas d'amour, pas de zèle… Le paradis ne signifie rien pour moi : il est un lieu vide. " Elle se languissait de Dieu, et elle ajoutait : " Je suis parfaitement heureuse de n'être personne, même pour Dieu. "
Cinquante ans dans l'amour du Christ
Ces contradictions, d'autres saints les ont vécues avant elle.
Mère Teresa disait : " Pour moi, le vide et le silence sont si grands que, quand je regarde, je ne vois pas, quand j'écoute, je n'entends pas. " Le père Brian Kolodiejchuk, un proche d'elle, confiait : " Je n'ai jamais lu la vie d'un saint où le saint vivait dans une obscurité spirituelle si intense et si longue. Personne ne savait qu'elle était autant tourmentée. "
Mais n'oublions pas qu'elle a vécu des expériences spirituelles très fortes. Malgré ces cinquante ans de désert, les trésors inoubliables qu'elle avait ressentis dans l'amour de Dieu ont dynamisé sa fidélité. Jamais elle ne se serait engagée sur cette route de l'amour si elle n'avait pas eu ces moments, ces expériences spirituelles. Elle a cru sans en avoir la preuve, convaincue que l'amour vaut qu'on lui donne tout.
Elle communiait à l'angoisse du Christ dans sa passion. Elle disait : " Si un jour, je deviens une sainte, je serai sûrement celle des "ténèbres", je serai continuellement absente du paradis pour éclairer la lampe de ceux qui sont dans l'obscurité sur la Terre.
" Mère Teresa sera la sainte des athées et des agnostiques. Paradoxalement, elle est encore plus grande, plus convaincante qu'avant.
Elle nous console de tous les fous de Dieu qui osent tuer au nom de Dieu.
Guy GILBERT
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